Et pourtant, sur les murs des temples en ruine et au plus profond des plus fastueux tombeaux, sur les statues des puissants oubliés et les papyrus des bibliothèques ensevelies, ces symboles d'un autre temps criaient leurs histoires millénaires. Ils criaient mais il n'existait plus aucun Homme pour les comprendre. La langue se perdit, les scribes oublièrent et d'écritures ils ne devinrent plus que peinture. Victimes des ravages du temps et des dégradations, ils étaient malgré eux les témoins de la fragilité de l'héritage d'un empire qui avait pourtant misé sur la pierre et le gigantisme pour traverser l'éternité. Ils étaient devenus les exemples de cette leçon universelle sur la vulnérabilité des civilisations humaines.
Thot, le dieu scribe et inventeur de l’écriture, s’était assoupi.
Il fallut une guerre et le fracas des canonnades pour que treize siècles plus tard se réveillent enfin ces voix endormies. Le 19 mai 1798, au côté d’un certain général Bonaparte et des soldats français partis à la conquête de l’Égypte des Mamelouks, c’est tout une armada de savants qui s’embarquent. Très vite, distraits par les mystères et les charmes de la civilisation perdue des pharaons, ils se détournent de l'ingénierie et de la logistique militaires. L’odyssée de l’égyptologie moderne a commencé. Il en ressortira la découverte d’un trésor inestimable, réduit par ignorance à l’état de rébus, coincé entre les moellons d’une fortification de l’embouchure occidentale du Nil, une simple stèle de granite noir mais la clef d’un monde perdu : la pierre de Rosette.
Après plus d’un millénaire de sommeil, Thot, le messager du dieu solaire, s’était enfin réveillé.
En 1801, la France est défaite et la pierre quitte le soleil égyptien pour les grandes salles du British Museum de Londres. Il faudra attendre vingt années supplémentaires avant qu’un Français ne révèle l’étendue de ses secrets. Cet exploit fait passer son nom à la postérité : Jean-François Champollion. Prenant la suite d’un savant araméen du Xe siècle, Ibn Wahshiyah, le jeune égyptologue de 32 ans parvient à faire parler la pierre de Rosette sur laquelle se décline un même texte retranscrit en trois écritures : le grec ancien, l’égyptien démotique et bien sûr l’égyptien en hiéroglyphes. Progressivement et pas à pas, de stèles en papyrus et de papyrus en obélisque, ces étranges signes muets retrouvèrent leur voix. Dès lors, ils n’ont plus cessé de raconter leurs histoires millénaires, ces symboles d’un autre temps.
Voilà 200 ans qu’il nous parlent, ces hiéroglyphes. 200 ans qu’ils alimentent notre imaginaire, enrichissent nos connaissances et inspirent notre art. C’est cet anniversaire que nous vous proposons de célébrer à travers ce dossier consacré à cette écriture antique hors du commun et à celui qui lui rendit la vie.