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Dans le silence de la prière

Une actualité de Camille V.L.
Publié le 18/01/2023
« Les mains jointes ou parallèles, suppliantes ou offertes, levées vers le ciel, le corps dressé, assis, à genoux ou allongé la face contre le sol, tourné vers un lieu sacré ou indifférent, bien des postures sont possibles. » (Dictionnaire des faits religieux, PUF, 2019).
Pour celui ou celle qui s’y prête, la prière fait simplement partie du quotidien. Du point de vue des sciences humaines, en revanche, l’analyse d’une telle pratique s’avère bien plus complexe qu’il n’y paraît, en témoigne la tentative de Marcel Mauss d’en constituer une théorie au début du XXe siècle. À la fois manifestation du corps, de l’être et du langage, elle ritualise une relation singulière de l’individu à la communauté et apparaît comme une des marques transversales des différents courants religieux dans l’histoire de l’humanité. Comme l’observait Louis Massignon, si les divinités, les médiateurs, de même que l’étendue et la structure des communautés changent, l’invocation, elle, demeure.

Toutes les prières ne sont pas silencieuses. Le silence, cependant, fait partie des privations sensorielles auxquelles de nombreuses formes de vie religieuse ont recours dès lors qu’il s’agit de se recueillir. Hors du langage, elle n’est alors plus que manifestation du corps et de l’être : une attitude corporelle, une maîtrise du souffle et de la respiration, jusqu’au ralentissement des battements du cœur… signes extérieurs d’une tension intérieure à laquelle elle entend répondre. Mais pourquoi ce silence-là est-il différent ? Parce que la construction rituelle du temps de prière la soustrait au temps ordinaire et la transporte dans une esquisse d’éternité, où l’individu entretient, dans le secret son âme, un rapport intime et privilégié à l’objet de son recueillement. C’est la prière qui retient son souffle, la prière comme réflexion, comme méditation, à la fois lieu où retirer l’esprit et où dissoudre l'être.

En ce début de XXe siècle, d’autres regards que celui du célèbre anthropologue se portent sur la prière à la lumière de la littérature, de la poésie ou encore de la psychanalyse. La modernité a ébranlé le monopole des cadres ecclésiastique et dogmatique dans l’établissement des règles propres à cette pratique. Henri Bremond notamment, prête catholique, historien et critique littéraire, dans son ouvrage Prière et poésie (1925), établit un rapprochement remarquable entre les deux, réfléchit aux rapports étroits entre littérature et sentiment religieux. Mais s’il est possible de court-circuiter les institutions de croyance, quels relais sont légitimes et quelles prières le sont, en l’absence de tels relais ? La prière a-t-elle toujours un sens au sein d’une société sécularisée dans laquelle chaque individu est amené à prendre individuellement, au moins en partie, la responsabilité et la liberté de sa spiritualité ? Toute forme de recueillement dans lequel l’individu se retrouve en lui-même, par l’art, la poésie ou la pensée, délié de tout attachement à un être divin auquel il s’adresserait, peut-elle être qualifiée de prière ?

S’il est encore aujourd’hui difficile, pour les sciences humaines, d’apporter une réponse claire à ces interrogations, il n’en reste pas moins que la façon dont les individus s’approprient et vivent désormais leur spiritualité a donné à la prière d’autres facettes. Peut-être que ne compte plus, pour certains, que cette interpellation sincère lancée à « l’absent attendu », bouteille jetée à la mer à la recherche d’un écho bienveillant à l’élan du coeur qui l’a portée. « On n’invente pas une prière », écrit Pierre-Antoine Fabre. L’époque chuchote : « Et pourquoi pas ? »

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