Bienvenue Mister Chance de Jerzy Kosinski, publié initialement en 1970, revient dans une nouvelle traduction signée Sarah Londin et conserve toute sa pertinence et son mordant. Adapté au cinéma en 1979 par Hal Ashby avec Peter Sellers dans le rôle principal, ce roman culte résonne aujourd’hui avec une actualité troublante, explorant la tyrannie de l’image et la déréliction du langage.
À travers le personnage énigmatique de Chance, jardinier simple d'esprit propulsé par un concours de circonstances au sommet de l'élite financière, politique puis médiatique, Kosinski livre une critique acérée de la société moderne. Chance, qui n'a jamais quitté la maison où il vivait reclus, n'a pour toute culture que les émissions de télévision qu'il regarde inlassablement. Ses paroles, d'une simplicité désarmante, sont interprétées comme des métaphores profondes par ceux qui l'entourent, révélant l'avidité d'une élite en quête de sens, même là où il n'y en a pas.
Dictature de l'image, où l'apparence prime sur le contenu, et où le langage devient un outil de déformation du réel : Kosinski anticipe avec une clairvoyance saisissante les dérives de nos sociétés hyperconnectées, où la communication se réduit souvent à des slogans creux voire, aujourd'hui, des mèmes viraux.
Si Bienvenue Mister Chance se présente comme une farce ou fable sociale, il s'en dégage tout de même un parfum de mélancolie. Le personnage de Chance, figure à la fois innocente et ambiguë, contraste assez violemment avec l'opportunisme et le cynisme des personnages qui gravitent autour de lui. Jusqu'à la dernière ligne, cet étrange équilibre est maintenu, et le lecteur, lui, retient son souffle.
Un roman plus complexe qu'on ne le pense, à redécouvrir urgemment.
Dans l’étouffante chaleur australienne, Amélia occupe un poste de maquilleuse funéraire. Lasse d’un quotidien peu palpitant, la jeune femme se complait le soir venu dans un ballet de relations sexuelles ephémères avec différents hommes rencontrés sur les applications de rencontre.
Dû à sa proximité avec les personnes défuntes, Amélia n’aborde pas la question du deuil et de la mort de la même manière que le commun des mortels. Nombreuses sont les personnes venant au funérarium pour rendre un dernier hommage à l’être disparu, la contempler, lui offrir une dernière douce parole, se remémorer… Une habitude pour Amélia, c’est son travail, elle l’aime et cette symphonie lui est des plus familières.
Mais que se passe t-il le jour où nous nous retrouvons de l’autre côté de la barrière ? C’est l’expérience que va faire la jeune femme le jour où sa mère va malheureusement être la victime d’une chute qui lui sera fatale. Comment aborder sa tristesse ? Comment l’accueillir et faire son deuil ? Quelque chose ne va pas chez Amélia, sa tristesse est trop complexe et son esprit chamboulé. Dans un geste égoïste et de détresse, la jeune femme décide de se rendre en Tasmanie chez son père biologique. Une fois sur place, notre héroïne sera plus que jamais en proie à ses démons intérieurs. Ne souhaitant que souffrir pour oublier sa peine, elle commence à s’intéresser de très près au monde du BDSM…
Premier roman de l'auteure australienne Ella Baxter, Une créature de douleur se révèle être un récit de genre des plus passionnant, intriguant et paradoxalement, vivant.
Allant à l’encontre des standards littéraires actuels, l’auteure dépeint avec force et simplicité un univers qui s'effondre peu à peu autour d’une jeune femme perdue, plongée dans une spirale de tristesse qu’elle ne sait comment remonter.
L’une des grandes forces du roman réside dans ses deux sujets abordés intrinsèquement liés que sont la mort et la sexualité. Jamais dans la provocation, le voyeurisme ou la vulgarité, Ella Baxter propose une sorte de Eros et Thanatos moderne où le monde d’Amélia n’est rythmé qu’au son de la mort et de l’amour, ici sexuel.
Se désignant comme une créature à deux têtes, incapable de sentir son propre corps par elle même, l’héroïne se lance dans une quête personnelle, celle de sa renaissance au prix de quelques déconvenues et surprises qui feront d’elle, au fil de son odyssée, une créature de douleur avant de glisser vers quelque chose de plus profond, de plus personnel, de plus beau.
Un premier roman certes, mais un grand roman.