Une immersion inédite dans la forêt, dans l’œil des chiroptères.
"Là où nous évoluons le jour, les chauves-souris vivent la nuit. Là où nous dormons la nuit, elles s'échappent pour revenir quand nous quittons nos maisons. Nous cultivons des fruits et des légumes, nous dépendons des forêts, elles se nourrissent des insectes dont ceux susceptibles de les ravager. Elles pollinisent les arbres forestiers tropicaux et dispersent leurs graines favorisant ainsi la reconquête forestière, tous les vivants en dépendent en respirant l'oxygène produit. Les chiroptères vivent dans notre ombre et nous façonnons en partie leur milieu de vie."
Laurent Tillon, biologiste et ingénieur forestier à l'Organisation National des Forêts - ONF, travaille sur le fonctionnement des écosystèmes et les relations entre les espèces animales et les arbres en ayant pour objectif d'intégrer les enjeux de la biodiversité dans la gestion forestière. Il nous a émerveillé en 2021 avec son livre Être un chêne, ici, nous le retrouvons une fois de plus au cœur de la forêt de Rambouillet mais pour nous parler des chauves-souris.
On connait les deux versants de ce mammifère volant. L'un négatif avec notamment le mythe de Dracula, ce démon mi homme, mi chauve-souris, avec aussi les histoires que l'on a déjà tous entendu au moins une fois comme leur capacité à sucer le sang ou encore à s’accrocher aux cheveux (même si l'on sait maintenant que c'était raconté dans l'unique but d'effrayer les jeunes filles pour ne pas qu'elles sortent une fois le soir tombé). Et il y a le côté positif. En effet, en Asie elles portent chance et sont signe de longévité. On peut encore citer Batman, le justicier qui se sert de la chauve-souris comme emblème pour faire le bien à Gotham. Mais finalement, que savons nous réellement des chiroptères ?
Nous apprenons dans cet essai que ces fantômes de la nuit vivent en groupe mais surtout, les femmes restent entre elles. Chacune a un rôle bien défini, un sens du sacrifice inouï, où le groupe prime sur l'individualité et avec des contraintes biologiques importantes. Dès la fin de l'hiver, elles se regroupent en quelques nuits seulement et adoptent cette collectivité pour leur propre besoin en expulsant très souvent les mâles. Lorsque les jeunes naissent, les mères partent toute la nuit durant (voire plusieurs) pour aller chercher à manger tandis que les nourrices veillent sur les nouveaux-nés (ces dernières sont soit trop jeunes ou trop âgées pour procréer). Certaines, trop faibles pour mener à terme leur gestation, s'isolent pour avorter.
"Avons nous le droit de continuer à nous considérer supérieurs aux autres espèces dans notre manière de vivre avec nos congénères quand on considère le sens du sacrifice chez ces animaux ? Il est probable que cette question n'ait aucun sens."
L'enjeu climatique est au cœur de tous les débats et dans cette période de crise énergétique nous faisons la chasse à tous les ponts thermiques de nos habitations avec une isolation toujours plus efficace. On voit aussi de plus en plus de champs éoliens dans nos paysages français mais ces inventions humaines sont une catastrophe pour les chauves-souris, ce qui à terme, aura forcément des répercutions sur nous.
Les chiroptères sont d'excellents régulateurs de biodiversité. En effet, ils se nourrissent des moustiques ce qui nous permet de passer de longues soirées en terrasse sans se faire piquer, ils mangent également tous les insectes ravageurs de nos cultures et grignotent en masse les hannetons qui eux, dévorent nos arbres.
Entre feux de forêts, hausse des températures, aléas climatiques, virus, intrusion de l'homme dans leur écosystème, les chauves-souris n'ont de cesse de s'adapter, s’acclimater mais jusqu'à quand ?
"Considérer l'enjeu climatique indépendamment de l'enjeu de biodiversité est donc une aberration qui finit par nous coûter collectivement très cher, car on fait primer l'enjeu carbone sur l'enjeu de biodiversité, alors que, comme on le voit bien ici, ils sont interdépendants. Travailler à régler d'abord le problème de la crise de la biodiversité contribue à régler la problématique climatique, alors que l'inverse n'est pas forcément vrai."
Un essai fascinant, passionnant, instructif grâce auquel nous arriverons à vivre en harmonie avec nos "colocaterres sauvages" et à mieux les comprendre pour pouvoir les protéger.