Hé bien ! Filles d’enfer, vos mains sont-elles prêtes ? Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? s’interroge Oreste dans Andromaque (1667), décrivant ainsi succinctement les Érinyes, déesses persécutrices lancées à sa poursuite. Vengeresses et hargneuses, leur apparence rappelle celle d’une autre figure emblématique : l’antique Gorgô ou Gorgone, plus couramment nommée Méduse.
Figure antique à la chevelure de serpent, cette dernière habite l’imaginaire collectif depuis plusieurs siècles. Tantôt monstre au regard paralysant, vamp séductrice menant les humains à leur perte ou bien icône des mouvements féministes et incarnation d’une survivante, elle est l’antagoniste d’un mythe séculaire ayant connu de multiples variations, que ce soit par l’intermédiaire de récits oraux ou textuels mais aussi de représentations artistiques. Le catalogue Sous le regard de méduse, de la Grèce antique aux arts numériques, publié à l’occasion de l’exposition éponyme ayant lieu au Musée des Beaux-arts de Caen propose un inventaire exhaustif de ces évolutions.
Richement illustré, l’ouvrage est divisé en deux parties distinctes. La première comprend une série d'essais qui replacent Méduse dans la chronologie type de l’histoire de l’art : Antiquité, Moyen-âge, époque moderne puis contemporaine, mais également dans le domaine de la caricature ou bien du cinéma. La seconde dresse un inventaire d’une soixantaine d'œuvres qui permettent de mettre en avant toute la diversité créative ayant existé, et existant toujours, autour de cette thématique.
Un bel ouvrage rendant hommage à l’un des mythes les plus connus de notre époque !
En février 2012, Cornelius Gurlitt entend frapper à la porte de son domicile. Après un contrôle de douane ayant mené à l’ouverture d’une enquête un an et demi plus tôt, la police vient d’arriver pour effectuer une perquisition dans son appartement munichois. L’intervention mène à une extraordinaire découverte : dissimulées derrière les étagères d’un réduit se trouvent plusieurs centaines de chefs-d'œuvres que l’on croyait disparus depuis au moins soixante-dix ans, soit l'époque sombre de la seconde guerre mondiale.
Dans ce livre, illustré par l’autrice Laureline Mattiussi, Dimitri Delmas remonte aux racines de cet épisode, afin d’expliquer comment cette collection a pu être constituée. Ce récit historique, très abordable pour les non initiés, raconte d’abord l’histoire de la famille de Cornelius Gurlitt et notamment celle de son père, Hildebrand Gurlitt, marchand d’art. Figure ambivalente, partisan d’Hitler, c’est lui qui acquiert plus de trois cent tableaux à vil prix dans le cadre de sa collaboration avec le régime.
La description de ces spoliations est un prétexte pour nous replonger dans le contexte artistique allemand et européen de la période. En passant par l’émergence du mouvement Dada, jusqu’à la montée d’Hitler au pouvoir et au succès des théories sur un art dit “dégénéré”, l’auteur redessine, à l’appui d'archives et de reproductions, le panel de discours qui structure une partie de l’histoire de l’art du XXe siècle. Passionnant et instructif !
« Elle a créé un monde qui n’appartient qu’à elle. Un monde en marche, qui vient de loin, et qui va on ne sait où, avec ses turpitudes. », déclare Maine Durieu au sujet de sa tante Germaine Richier (1902 - 1959). Ses propos, ainsi que ceux d’autres membres de l’entourage de l’artiste comme l’écrivaine Dominique Rollin, le peintre Ladislas Kijno ou encore la sculptrice Hélène Balmer, sont retranscrits par sa fille dans Germaine Richier l’Ouragane. Laurence Durieu signe ici une très belle publication dédiée à un membre de sa famille qu’elle n’a pas connu et dont elle cherche à retracer l’existence. Elle nous raconte ainsi cette aïeule fascinante, profondément amoureuse de la nature et de sa Provence natale, élève d'Antoine Bourdelle et figure artistique emblématique du Paris de la première moitié du XXe siècle.
Le livre relate la vie de l’artiste, son enfance, sa décision, encore étonnante pour une femme à l’époque, de devenir sculptrice et d’étudier les beaux-arts, mais aussi sa relation fusionnelle avec son frère Jean, les rapports qu’elle entretenait avec certains élèves et confrères ou encore son combat contre la maladie qui l’emportera à 57 ans. En plus des nombreux témoignages recensés, qui constituent un chapitre entier de l’ouvrage, Laurence Durieu s’attarde aussi en détail sur l’affaire du Christ d’Assy, un scandale digne de celui du Balzac de Rodin, qui opposa l’artiste à certains membres de l’église et au pape lui-même. On se laisse entrainer avec plaisir dans le récit de vie de cette grande petite femme, richement illustré de photographies de ses oeuvres et de son atelier dont certaines, comme celles la montrant auprès de Nardone, un de ses modèles favoris, sont particulièrement touchantes.
Un ouvrage passionnant qui nous permet de nous rapprocher au plus près d’une artiste qui était, aux dires de son assistante et amie Claude Mary, « généreuse, fantasque et griffue ».
Un Christ représenté à mi corps, les poignets noués à une colonne de marbre, tandis que deux bourreaux lui infligent une flagellation, le tout éclairé par une lumière si caractéristique…
Les collections du Musée des Beaux-Arts de Rouen renferment un trésor : une Flagellation du Christ de Caravage, réalisée à Naples tandis que le peintre fuit la justice romaine après avoir commis un meurtre. Or, si la paternité de ce tableau ne pose aujourd’hui plus question, cette attribution n’a pas toujours été une évidence et a nécessité l’intervention des plus grands experts du siècle dernier. Ce livre retrace donc en premier lieu l’histoire de la toile, de ses origines jusqu'à son accrochage sur les murs du musée Rouennais. À cet état de la recherche mis à jour concernant le parcours de l'œuvre, suit une étude scientifique, puisque ces pages vous proposent de glisser sous le vernis et les pigments. Une immersion au cœur de la toile où l’on revient aux temps des premières formes, des premiers choix du peintre, grâce à la science qui nous révèle ce que l'œil ne peut percevoir. Ce rapport à la matière, cette découverte des hésitations, des transformations, de la composition des couleurs, ou encore le matériel employé nous rapprochent d’un moment révolu, celui de la conception du tableau.
Voici un ouvrage succinct mais essentiel et surtout passionnant qui nous communique tous les secrets d’un tableau plus confidentiel d’un peintre célébrissime. Un livre qui nous donne l’impression de regarder par-dessus l’épaule du maître avant de suivre la destinée parfois troublée de sa création.
Faire des femmes artistes des figures familières et non des exceptions, de la présence de leurs œuvres au musée la norme et non pas un évènement, voilà certains des objectifs défendus par cette très belle parution dans la collection Les Insolentes.
Cet essai riche et dense, écrit par Eva Kirilof, autrice de la newsletter La Superbe, et illustré avec brio par Mathilde Lemiesle, propose une réflexion éclairée sur la façon dont les femmes ont été, et sont toujours, ostracisées dans le monde de l’art. L’ouvrage aborde des thématiques diverses comme le rapport des femmes artistes avec l’éducation, l’importance de « la pièce à soi » telle que l’envisageait Virginia Woolf, le concept de génie masculin, la figure de la muse ou encore la notion de regard dominant. Chacune soulève toute une série de problématiques : Quelle est la nature du système qui enfante et condamne les femmes artistes ? Sur quoi fait-on reposer la distinction entre les artistes femmes et leurs homologues masculin ? Qu’est-ce qu’un art dit « féminin » ? Quelles sont les difficultés supplémentaires pour les artistes racisées ?
Ces questionnements, dont la liste présentée ici n’est pas exhaustive, sont traités au regard des thèses, des critiques et des témoignages d’un grand nombre de théoriciennes, d’historiennes ou d’activistes. L’ensemble de la publication est également émaillé de portraits de peintresses et de sculptrices, comme Angelica Kauffmann, Tamara de Lempicka, Louise Bourgeois ou encore Mary Beale, dont on présente aussi les principaux chefs-d’œuvres et prises de positions.
En somme, un livre accessible, engagé et nécessaire, qui permet de rendre compte de la place des femmes dans la culture occidentale et de tout ce qu’il reste à faire pour achever de la revaloriser !