Il faudra attendre le XVIIe siècle pour voir ce genre codifié s'épanouir grâce au maître incontesté du genre, Bashô, moine bouddhiste qui passa sa vie à voyager et à écrire.
Ce n’est qu’au XIXe siècle que le "haïkaï" devient "haïku" et commence à s’assouplir avec Issa, Santoka, puis Hosai au début du XXe siècle, à l’image du vers libre en France à la même époque.
Si la disposition en trois vers est toujours respectée, le rythme 5/7/5 n’est alors plus obligatoire tout comme le "kigo", l’évocation des saisons. Le haïku connaît un renouveau et peut inclure l’actualité, le changement climatique, et même faire preuve d’humour dès l’époque de Bashô.
Quelle que soit la période, ce poème bref n’est pas seulement ornemental, n’a pas vocation à être beau : donc à quoi prétend-il réellement ?
Cette poésie de l’éphémère, de la fulgurance permet de fixer l’instant présent qu’il éternise. C’est pour cela qu’il est souvent associé à la spiritualité qui prône le détachement et la contemplation. Le cycle de la nature, l’univers dans son immensité et ses détails infimes restent les motifs récurrents de cette poésie méditative qui doit être prononcée en une seule respiration. Le haïku entre autant en résonance avec celui qui l’écrit, l’énonce qu’avec celui qui le reçoit, l’entend ou le lit.
Selon la spécialiste et traductrice Pascale Senk, la lecture et la pratique de cet art à la fois fugace et porteur d’infini, aide à vivre.
C’est la philosophie zen de Bashô avec ses carnets de voyage remplis de haïkus qui a influencé aux Etats-Unis la beat generation des années 1950-1960, notamment Jack Kerouac. L’auteur de Sur la route, qui a rencontré dans les années 50 le bouddhisme, composa son propre recueil adapté à la culture américaine.
En 1970 en France, pour évoquer sa trace sur la page blanche, l’écrivain essayiste Roland Barthes, fasciné par l’esthétique et la culture japonaises parle de "griffure de lumière" et rappelle que ce fragment ne décrit rien (L’Empire des signes). Avec le haïku comme avec la poésie, nul besoin de rechercher une signification, il s’agit peut-être de se laisser porter par la simplicité, la musicalité, la surprise et le silence qu’ils font résonner en nous.
Nombreux sont les poètes occidentaux du XXe et XXIe siècle admiratifs du haïku qui en ont composé, voire traduit, ou évoqué son héritage, preuve que cette forme évolue, s’adapte, peut-être parce qu’elle inspire un élargissement de soi et du monde propre à toutes les civilisations.
"Un corbeau perché
sur une branche défeuillée -
Soir d’automne"
Bashô
"Sous la pluie d’été
les feuilles du prunier
ont la couleur du vent frais"
Saimaro
"Fleur d’un soir
Éphémère et mélancolique
Qui demain ne sera plus"
Sôseki
"Par un pet de cheval
éveillé
j’ai vu des lucioles voler"
Issa
"Sur la pointe d’une herbe,
Devant l’infini du ciel,
Une fourmi."
Hōsai
"Me voici
là où le bleu de la mer
est sans limite."
Santoka
"Le son du silence
est toute l’instruction
que tu recevras"
Jack Kerouac
Le chat
"Pattes croisées, les yeux mi-clos
il nous regarde comme s’il
avait lu tout Kant et nous pas"
Ivar Ch’Vavar