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Marcel Proust (1871-1922)

Publié le 10/08/2021
A l'occasion du 150ème anniversaire de la naissance de Marcel Proust, Jean-Hugues Larché, écrivain, nous fait l'amitié de partager avec nous et vous ce texte hommage :
Toujours Proust
6 juillet 2021
La lecture de Proust entraîne plus loin que son cœur ne l’imagine, telles les filles du soleil de Parménide qui amènent le penseur du Poème à la rencontre de la déesse. L’élaboration de son ouvrage principal dure de 1907, où il travaille à Un amour de Swann, jusqu’au début du printemps 1922 où il écrit le mot « fin » au Temps retrouvé. Enfant à la santé fragile, à la grande sensibilité et à l’imagination monstrueuse, son besoin d’affection est sans limite, à l’instar de sa littérature. Le prétendu travestissement d’Albertine en Albert et de Gilberte en Gilbert ne fait que de cacher par des classifications conformistes la forêt proustienne, son génie propre et sa pensée unique sur le temps. Les critiques malsains, les littéraires jaloux de la vie réelle et de l’intelligence de Proust en ont fait un modèle d’homosexualité cherchant à stigmatiser l’écrivain dans sa liberté de création. D’abord réinventé par la matière et le surgissement précis de ses souvenirs, Proust réinvente son temps à lui, bousculé par une véritable émotion qui surgit de ses papilles, dit-il, lors de la révélation goûteuse d’un biscuit qu’il transformera en madeleine. Sa perception du monde se fait en douceur, finesse et en un déroulé précis qui s’épanouit à volonté comme une fleur à la lumière. Essai sur le goût. Physiologie du goût. Guerre du goût. Le goût de Proust est incommensurable. Sa mémoire involontaire est d’une étendue universelle, pleine de sensations. Son introspection du monde construit un monument de pensée : La Recherche du temps perdu.
Personne ne sait dire ce qui se passe vraiment dans cette cathédrale. On a retenu l’expression faire catleya sans se rappeler, par exemple, la scène originale qui devient synonyme de rapport intime. D’autres trouvent que cela ne sent que le sexe et l’élitisme. Perception un peu insuffisante ! On parle de phrases interminables, de complaisance de l’auteur et de langue masturbatoire. Tu parles Charlus ! On dit que c’est illisible, qu’il y a trop de détails. N’est-ce pas plutôt la crainte du lecteur de se faire emporter plus loin que son rapport au temps ne le permet ? Proust analyse fondamentalement son rapport avec sa mère et son père qui est professeur de médecine et s'autoanalyse pour une lucide récupération de son temps à lui. Il a grand besoin de l’affection de sa mère, nous dit-il, un évident intérêt pour les femmes, une attirance vraisemblable pour les hommes. Est-ce un roman, une immense confidence, un journal fleuve masqué, une mise en abîme, un récit dans le récit ? Difficile à dire. N’allons pas trop vite. Pourquoi s’en débarrasser d’un geste et catégoriser cet homme ? Je retiens le beau naturalisme du bord de la Vivonne aux carafes frôlées par les algues en première émotion proustienne personnelle. Le Clocher de Méséglise qui s’approche et disparaît comme une focale de son éduction catholique. Je pense à la réminiscence d’un pavé inégal de l’église Saint Marc à Venise. Il voyage à Padoue et à Venise sur les traces de Ruskin qu’il traduira. En lecteur de Bergson, de Saint-Simon et des Mille et une nuits, sa pensée de la sensation est un muscle interne de réflexivité sur le temps qui donne à ceux qui le souhaitent un accès perpétuel au temps littéraire. On peut relire sans se lasser le manuel de littérature qu’il produit dans Le Temps retrouvé, en haute conscience d’élaboration de son projet. La Recherche est une ode à la nature et à la beauté du monde comprenant l’analyse chirurgicale de l’humanité dans ses errements sentimentaux et sexuels. Je pense à la rencontre physique de Swann et d’Odette dans la calèche, où ils font catleya; à la beauté de la duchesse de Guermantes fascinant le narrateur; à sa vue dérobée depuis le talus de Montjouvain de Mademoiselle de Vinteuil et son amie crachant sur le portrait du père; à celle sur Charlus et Jupien en bourdon et fleur dans la boutique du giletier; à Robert de Saint Loup se déprenant de Rachel; à Albertine et Gilberte dansant serrées seins contre seins au Casino de Balbec; à la question de la jalousie fondamentale traitée aussi profondément par lui seul, Proust; aux Verdurin, famille populaire en commère des vertes et des pas mûres et enfin aux Guermantes, aristocrates en déclins dont le prince est étonnamment dreyfusard.
La Recherche traverse allègrement quatre générations. Et le temps à venir. Proust déroule sa vision circulaire du monde : jeunesse, ambition, succès, défaites, amours, ruptures, mondanité, bordel, guerre, vieillesse, bal des têtes. Vision qui correspond précisément à l’entièreté de son temps, assimilé, ressenti et pensé comme d’aucun. Avec ses deux cent personnages, la spirale des phrases proustiennes cherche à atteindre une réalité qui échappe toujours.
J’ai filmé Stéphane Zagdanski au bar Hemingway du Ritz le 10 juillet 2006. Il commençait par une citation du grand auteur américain : Qu’est-ce qu’un classique, c’est un livre dont tout le monde parle mais que personne ne lit. L’auteur du Sexe de Proust développait les questions sexuelles et la prétendue déviance que serait l’homosexualité et qui en réalité est une norme fonctionnelle des hommes entre eux. Masochisme de Charlus. Quant aux femmes entre-elles : saphisme égale mystère. Sadisme d’Albertine. Masochisme de Charlus. Lisez donc Proust et vous en parlerez plus tard ! Depuis le deuxième étage du 102 boulevard Haussmann, Proust corrige sans relâche ses épreuves, - au grand dam de son éditeur - pense et repense sans cesse son œuvre, bien au-delà de la première mouture. En métaphore d’extension infinie de sa pensée, les paperolles se sont longtemps dépliées en pieuvre géante depuis son lit de malade pour ne rien laisser échapper de l’océan de sa vision existentielle. Rajouts de papier savamment cousus par Céleste, servante humaine, fidèle et très lucide sur le génie de Monsieur Marcel. Réfléchir, écrire, soustraire, réécrire, toujours en rajouter, ne rien perdre dans la précision du sens, de l’amélioration du dire, du rythme de la page, du courage de penser sans limite. Etablir un monument d’encre et de beauté sur la vérité sensible du monde au travers des manigances et autres tragédies. Bien au-delà des contraintes éditoriales, La Recherche est le grand work in progress à la française. Proust aura le prix Goncourt en 1919.
Tout est printemps chez Proust. Quelque fragment émergeant de sa pensée est éclairé, nuancé, aimé, ressenti et rafraîchi dans la langue qui le porte. Proust pense ses personnages avec précision et distance, n’excluant ni tendresse ni compassion, avec autant d’acuité qu’un Saint Simon et dans un accueil lucide de la modernité industrielle alors encore entourée de la nature bénéfique en ce début de XX° siècle. Je garde toujours une pensée pour Marcel Proust et la déesse, qui, quelque soit son nom, lui conserve une belle place dans son cœur. La déesse qui l’inspire est à l’évidence printanière car elle l’accompagne en riant. Et lorsque on le lit, d’où que l’on aborde La recherche, le printemps éclos perpétuellement dans chacun ses mots.

Jean-Hugues Larché

La recherche

La Recherche (en poche)