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Marcel Proust, cent ans après son prix Goncourt

Une actualité de Véronique M.
Publié le 24/10/2019
Qui sera l’heureux lauréat du Goncourt 2019, proclamé le 4 novembre prochain ? Si la frénésie enflamme le monde des lettres, c’est peut-être grâce à Marcel Proust, qui reçut, exactement un siècle plus tôt, le prix pour "A l’ombre des jeunes filles en fleurs", deuxième volet d’"A la recherche du temps perdu". Retour sur une consécration et sur quelques conseils pour lire (enfin) Proust…

Le 10 décembre 1919, l’attribution du Goncourt provoquait un véritable scandale car Marcel Proust, alors quasi inconnu, détrônait Roland Dorgelès, le héros de la Grande Guerre qui aurait être couronné pour son roman témoignage Les Croix de bois. De plus, la presse critiquait avec virulence l’âge du vainqueur (Proust a 48 ans), sa condition sociale (il serait riche, snob) et son style : déjà, la longueur de ses phrases agace... ou fascine!

Dans la vidéo de l’exposition parisienne du centenaire de l'attribution du Goncourt, Alban Cerisier nous raconte les coulisses de cette « émeute littéraire » (Thierry Laget) qui permit il y a cent ans à ce prix, à un éditeur et à un auteur d’entrer dans la légende…


Comment résumer A la recherche du temps perdu ?

« Marcel devient écrivain » : par ce clin d'œil, le critique Gérard Genette condense  au début des années 70 ce roman de plus de deux mille pages qui lui servit de modèle pour élaborer dans Figures III sa théorie du récit.

Des années après l'épisode célèbre de la madeleine dans le premier tome (Du côté de chez Swann),  la vocation littéraire se révèle pleinement au narrateur qui trébuche sur les pavés mal équarris de l’hôtel des Guermantes, dans le septième et ultime volet du cycle. Tout lui revient en mémoire et prend alors forme pour le livre à écrire : les lieux emblématiques (la maison de tante Léonie à Combray, Balbec, Venise, Paris), les tentations mondaines, les deuils amoureux (sa mère, sa grand-mère, Gilberte, Albertine, la duchesse de Guermantes), les modèles masculins (Swann, Bergotte, Charlus, Saint-Loup)  et l'approche de la mort seront adoucies et fixées par l'épiphanie finale.  Car seule l’écriture permet de corriger la vie et éternise le Temps perdu : « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent pleinement vécue, c’est la littérature »  (Le Temps retrouvé)


Et si entrer dans cette fresque vous impressionne ou vous décourage, que lire ?

Sur la lecture est un texte d'introduction à l'univers proustien aussi bref que lumineux dans lequel tous les amoureux des livres se reconnaissent !

Cent ans après son Goncourt, une parution agit comme une nouvelle madeleine : Le Mystérieux Correspondant et autres nouvelles inédites (qui vient de paraître aux éditions de Fallois) comprend neuf textes de jeunesse qui devaient figurer en 1896 dans Les Plaisirs et des jours puis écartées par Proust lui-même, certainement à cause de l’homosexualité qu’elles abordent, sujet délicat pour l’auteur de 25 ans.

C'est aussi grâce à Bernard de Fallois, grand Proustien disparu l’an dernier,  que nous devions l'exhumation de deux inédits de jeunesse de l'écrivain publiés en 1952 et 1954 chez Gallimard. Que ce soit son premier roman autobiographique inachevé Jean Santeuil ou Contre Sainte-Beuve , recueil de textes plus accessibles, tous deux préfigurent La Recherche et en donnent une piste de compréhension : toute œuvre doit être lue indépendamment de la personne de l’auteur, bien que Proust s'amuse des ressemblances avec son narrateur Marcel.

Vous pouvez aussi commencer votre immersion par deux parties détachées de l’ensemble : Un amour de Swann (partie centrale de Du côté de chez Swann) et Les Intermittences du cœur (chapitres issus du quatrième tome Sodome et Gomorrhe) se lisent indépendamment comme deux intrigues sentimentales sur les souffrances de la jalousie entre Charles Swann et  Odette puis qui se répètent quelques années après, entre le narrateur et l'insaisissable Albertine. A moins que vous ne préfériez plonger avec bonheur dans l'écoute de La Recherche lue par de grands comédiens en version intégrale, par tomes séparés, ou plus condensée.


Quels livres pour comprendre l’homme et son œuvre ?

 Proust la cathédrale du temps  du spécialiste Jean-Yves Tadié offre une synthèse incontournable, toujours agrémentée d’illustrations dans l’impeccable collection Découvertes/Gallimard. Son imposante biographie (en deux tomes chez Folio) demeure incontournable ou vous pouvez préférer celle, plus courte, de Michel Erman (La petite Vermillon).
L' Introduction à la Recherche du temps perdu de Bernard de Fallois se lit également comme une éclairante vue d'ensemble et détaillée de chacun de ses sept volumes.

Afin d’acquérir les clés essentielles de La Recherche de manière plus ludique, Proust à la plage se dévore sans complexe, de même que les courtes pastilles critiques réunies dans Un été avec Proust. En format poche, ne manquez pas Proust par lui-même de Pierre Assouline, compilation érudite et savoureuse de citations de l’auteur, avec une préface précise et précieuse, ainsi que Le dictionnaire amoureux de Proust, déambulation passionnante et « délibérément désinvolte » selon les mots de leurs auteurs, Jean-Paul et Raphaël Enthoven.

Pour les plus aguerris, nous vous conseillons la lecture abordable de Proust et le roman publié chez Gallimard en 1971 par Jean-Yves Tadié qui a favorisé la sortie de l'auteur de son purgatoire tout en relançant la critique littéraire française et internationale à considérer La Recherche comme une  construction romanesque digne d'être étudiée et diffusée. Près de cinquante ans après, cet éminent éditeur de Proust dans la Bibliothèque de la Pléiade revient dans Marcel Proust croquis d’une épopée (à paraître le 14 novembre chez Gallimard) sur sa révélation du génie proustien qui ne fut pas évidente, puis sur la joie indispensable à côtoyer cet « ami ».

Et si vous êtes toujours réticents, n'oubliez pas les conseils de l’essayiste Pierre Bayard dans son réjouissant Comment parler des livres qu’on n’a pas lus qui brise un tabou et nous déculpabilise, démontrant que « bien lire, c’est se détourner de l’œuvre », tout en offrant quelques astuces pour briller en société justement sans avoir forcément ouvert Proust et autres monuments de la littérature !

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