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Pensée chinoise

Une actualité de Arnaud
Publié le 03/02/2021
Depuis quatre mille ans, la pensée chinoise échappe singulièrement aux catégories que l'Occident, au cours des siècles, s'est efforcé de définir pour nommer, classer et différencier les domaines de la connaissance.
Dans un pays où les frontières de la pensée sont poreuses, philosophies et religions se confondent dans une même réalité culturelle, cultuelle et politique. Les Chinois vivent de manière ouverte et indifférenciée une ou plusieurs des principales religions historiques que sont le confucianisme, le taoïsme et le bouddhisme. Pas de monothéisme ni de transcendance en Chine, ni apostasie ni hérésie, mais une vie quotidienne, domestique et politique imprégnée des croyances et des rites traditionnelles qui font coexister sans écueils des cultes différents.

Face à une civilisation si éloignée de de notre histoire occidentale, les sinologues français ont toujours fait preuve d'une grande prudence intellectuelle, à commencer par les questions de langage. "Pensée chinoise" pour Anne Cheng, "religion" pour Marcel Granet, ou "sagesse" pour Cyril Javary, chacun justifie ses choix terminologiques et s'en explique, tant il est difficile de traduire fidèlement une langue et une culture ancrées dans des réalités anthropologiques si différentes des nôtres.

Le sinologue Marcel Granet a mis en évidence l'importance de deux éléments spécifiques à la culture chinoise : son incroyable sédentarité couplée à une longue culture de la paysannerie. C'est par l'observation de la nature qui se transforme au rythme des saisons que s'érige peu à peu ce qui deviendra le socle de la pensée chinoise, le Yi Jing, le Classique des Changements, rédigé il y a trois mille ans. Traité cosmologique et art divinatoire, le Yi jing (ou Yi King) représente, par la combinaison du Yin et du Yang, la "dynamique du monde", pour reprendre le titre du livre de Cyril Javary. " Yin n'est pas plus une entité que Yang, ils n'ont pas d'existence propre", précise le sinologue. Yin et Yang, associés respectivement au principe féminin et masculin, ne sont ni contraires ni opposés, mais forment un ensemble actif, une relation qui" suit le souffle originel Qi dans toute chose". 

Confucius, au VIe siècle avant Jésus Christ, s'inspirera de la profondeur et de la sagesse du Yi Jing, ainsi que celle des quatre autres grands  "Classiques" de la Chine antique, pour développer une philosophie qui tient du grand écart entre respect des traditions et pensée novatrice. Fervent défenseur des cultes et des rites, il distille néanmoins, dans ses fameux Entretiens, des aphorismes inspirants en matière de tolérance et d'ouverture d'esprit qui feront du Maître Kong, selon le sinologue Pierre Do-Dinh, le premier humaniste chinois. Pragmatique et concret, intéressé par les devoirs et les cultes qui fondent la vie de la cité, son influence en Chine, qui ne s'est jamais démenti, fut considérable en matière de philosophie politique et d'éducation.

Contemporain de Confucius, Lao Tseu, dont l'existence historique reste encore indéfinie, a pour sa part initié une spiritualité qui combine l'énergie primaire du souffle Qi et le couple Yin/Yang à travers le principe du Tao, "la Voie". Là où l'enseignement confucéen se montre prudent, voire méfiant, sur les questions métaphysiques ou eschatologiques, le Tao te king, texte fondateur du taoïsme, se déroule comme un long poème mystique aux accents cosmologiques. Proche du Brahman indien, ou de l'Un plotinien, le Tao pourrait être considéré comme un premier monothéisme chinois s 'il n'échappait justement pas à tout effort de systématisation et de définition. Consubstantiellement, son dérivé religieux fera, dès le Ier siècle avant notre ère, émerger en Chine une nouvelle forme de spiritualité et un art de vivre touchant tous les domaines de la vie, de la méditation à la gymnastique en passant par la sexualité ou la médecine.

Pendant les siècles suivants, les deux écoles confucéenne et taoïste ont fait de nombreux émules qui chacun ont tenté d'approfondir les intuitions philosophiques des maîtres fondateurs. Mencius ( IVe - III e siècle) sera le grand successeur de Confucius. Tout en reprenant l'essence de sa philosophie, il tentera en particulier de développer la grande intuition philosophique du Maître, le Ren, que l'on peut traduire par "bienveillance", principe universel permettant d'équilibrer harmonieusement toute relation, qu'elle soit familiale, sociale ou politique.

Côté taoïste, Tchouang Tseu, au IVe siècle avant Jésus Christ, est rapidement devenu un penseur fécond et singulier, au style lyrique, dont la renommée encore aujourd'hui tend à éclipser celle du mythique fondateur Lao Tseu. Tchouang Tseu, puis Lie Tseu quelques siècles plus tard, s'orienteront plus radicalement sur l'expérience humaine en prise directe avec sa nature profonde, gouvernée par le Tao, et l'éloge d'une vie non artificielle, loin des honneurs et des apparences trompeuses. 

C'est dans cette Chine taoïste et confucéenne qu'arrive ensuite le bouddhisme, dès le Ier siècle de notre ère, qui apportera "une nouvelle façon de concevoir l'existence, bouleversant de fond en comble les perceptions chinoises" (Anne Cheng). "Première expression d'une spiritualité universelle", le bouddhisme introduit en Chine des éléments religieux inédits qui font néanmoins écho aux croyances traditionnelles locales. Les composantes métaphysiques et eschatologiques propres aux concepts indiens de karma, samsara et nirvana résonnent avec certaines idées taoïste qui placent notamment l'immortalité de l'âme au cœur de ses croyances. Assez naturellement, la Chine va peu à peu assimiler cette nouvelle religion qui viendra trouver sa place dans un paysage religieux multiple et fécond, auquel viendront s'ajouter par la suite d'autres courants religieux, tel que le zen (chan), le manichéisme ou encore le christianisme, parachevant la dimension singulièrement syncrétique de la pensée chinoise.

Fondamentaux de la culture chinoise

Confucius et la tradition confucéenne

Lao Tseu et la tradition taoïste