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Voir autrement : l’histoire de l’art selon Daniel Arasse

Une actualité de Jérémy Gadras
Publié le 06/05/2021
Connu pour ses travaux sur la Renaissance italienne et pour avoir démocratisé une discipline souvent considérée comme hermétique, Daniel Arasse aura touché un vaste public, autant par des écrits, articles, colloques, tables rondes érudits et universitaires que par des textes de « vulgarisation » et des émissions radiophoniques (l’émission "Histoire de peinture" sur France Culture reste emblématique pour beaucoup d'entre nous), ambitionnant intelligemment de faire de l’histoire de l’art, voire de notre façon de voir, un savoir universel à la portée de tous. A l'occasion de deux nouvelles parutions, "Le détail : pour une histoire rapprochée de la peinture" en grand format et "Le Portrait du diable" en format poche, nous rendons hommage à cet éminent historien de l'art du XXe siècle.

Rejetant le qualificatif de « spécialiste », s’accompagnant des réflexions d'autres sciences humaines pour parfaire son regard d’historien de l’art, gardant ses distances envers la doxa et diktats de sa propre discipline, Daniel Arasse fut bel et bien un savant passeur de savoir. Irréductible à une seule école de pensée, il aura ouvert les arcanes des chefs-d’œuvre de l’art aux néophytes et simples curieux, et à tous ceux qui désiraient voir au-delà même du tableau.
S’il se consacra essentiellement à l’art italien du XIVe au XVIe siècle, devenant l’un des historiens et théoriciens les plus éminents de la période – dans la lignée d’un Panofsky, Michael Baxandall, André Chastel… – il se fraya également un chemin dans le « monde » de l’art contemporain, à une période où il quitte temporairement le domaine universitaire et l’enseignement pour diriger l’Institut français de Florence. Profitant du terrain toscan pour poursuivre ses recherches d’historien de l’art – principalement sur les Annonciations et sur Saint Bernadin de Sienne – il se prend d’intérêt pour la création contemporaine et les artistes de son temps, considérant très justement qu’un « historien de l’art du passé » peut s’adonner à l’exégèse d’un créateur contemporain : l’interaction qui a lieu entre une œuvre (ancienne ou actuelle) et son spectateur (historien, spectateur ou artiste) abolit la distance temporelle au profit d’un « partage des temps » et des savoirs. Intérêt non moins important et primordiale : déceler et étudier la « présence active » de l’œuvre, ce qu’elle exerce sur le regardeur, ce qu’elle engage « à voir » à travers elle ; mais aussi, comme il l’a formulé très simplement : chercher « la relève contemporaine d’enjeux artistiques anciens ». En somme, comment une œuvre s’adresse silencieusement à son spectateur ; comment par les mots, un interlocuteur éclairé peut en faire voir le langage et les sen ;  et, principalement, comment  « faire mieux voir ». De là naîtront des articles, études et critiques sur Andres Serrano, Cindy Sherman, Alain Fleischer, Eric Rodepierre, Ian Peterson, Max Beckmann, Mark Rothko, (plusieurs de ces textes seront repris dans l’ouvrage posthume Anachroniques, textes rassemblés par Catherine Bédard aux éditions Gallimard), mais également l’une des monographies les plus importantes sur l’artiste allemand Anselm Kiefer.

Regarder d’un autre « œil » :

Les œuvres de Daniel Arasse les plus lues, les plus citées, sont également les plus exemplaires de simplicité et les plus éclairantes, à savoir celles qui ne font pas l’économie d’une connaissance difficile et d'analyses complexes mais qui se résument brillamment dans des ouvrages « à la portée de tous ». L’un des plus caractéristique de cette entreprise (outre Histoire de peinture qui résume l’évolution de ce que l’on entend par « peinture » : de l’invention de la perspective jusqu’à la disparition de la figure) est son ouvrage On n’y voit rien ! (Paradoxe de l’historien de l’art connaisseur mais aveugle, ce titre criant d’humour explique à lui seul ce dont il est question dans l’ouvrage).
On n’y voit rien ! invite justement à voir autrement, d’un autre « œil » : l’exemple de la lecture historique et théorique de la Vénus d’Urbino de Titien en partant de la structure du tableau de Manet L’Olympia. Une méthode d’analyse que l’on retrouve dans un autre ouvrage plus exhaustif, plus dense aussi – sorte de parangon des études de Daniel Arasse ou version savante et plus dense de On n’y voit rien ! – : Le Détail : pour une histoire rapprochée de la peinture. Un livre qui aura un succès remarqué et justifié dans l’Histoire de l’art, à tel point que toute une génération d’étudiants et spécialistes ne pourront désormais faire l’économie de cette nouvelle méthode d’observation. Il en sera de même pour son ouvrage Le sujet dans le tableau : essai d’iconographie analytique, sur le rapport entre les œuvres et leurs auteurs ou commanditaires, sur l’inscription, la signature, ce vouloir de l’artiste : autant de détails dévoilant une émancipation progressive du statut de l’artiste dès la Renaissance.

Parmi les autres textes de Daniel Arasse consacrés à l’art et aux artistes de la renaissance italienne ou flamande nous vous conseillons fortement la lecture de L'homme en perspective : les primitifs d'Italie ; L'Annonciation italienne : une histoire de perspective ; et plus encore son étude – l’une des plus belles tant à la lecture que pour son apport dans la connaissance de l’homme et l’œuvre – sur Léonard de Vinci : le rythme du monde. Trois textes que les éditions Hazan ont réédité dans leur collection Bibliothèque Hazan – les incontournables, versions abondamment illustrées, brochées et en petit format !
Autres études indispensables : L'homme en jeu : les génies de la Renaissance ; Désir sacré et profane : le corps dans la peinture de la Renaissance italienne ; Saint Bernardin de Sienne : fonctions de l'image religieuse au XVe siècle ; L'expérience du regard au siècle des lumières ; La Guillotine ou l'imaginaire de la Terreur.

« Quand vous regardez un tableau ou une photo, vous avez certainement une vue d'ensemble, mais qu'est-ce qu'on voit quand on voit l’ensemble ? J'aimerais le savoir. On perçoit l'ensemble, mais quand on commence à regarder, l'œil va s'attacher à certains éléments. Il va non pas découper physiquement, mais isoler, mettre en relief, avec une zone de flou autour, des éléments qui sont des détails. Mais ce ne sont plus les mêmes que les premiers. Ce sont à présent les détails, produits par chaque regardeur ou regardant de tableaux ».
D.Arasse



 

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